Anticiper le service adverse

Dimanche 27 Octobre 2019



Le retour de service a déjà été abordé dans ce blog sous la forme de trois articles détaillant les fondamentaux techniques et tactiques de ce coup en première et seconde balle (retour sur première balle - retour sur seconde balle) ainsi que la mise en action. Mais il est vrai que ces trois aspects ne prennent pas en compte un aspect fondamental qui est la capacité à anticiper la trajectoire de balle adverse, la vitesse, l'effet utilisé. En un mot, comment prendre les informations et surtout lesquelles prendre pendant et même avant la frappe afin de proposer la meilleure réponse adaptée à la balle qui arrive ?

Chez les professionnels, l'augmentation de la vitesse des services rend cette notion d'anticipation prépondérante car sinon impossible de pouvoir envisager de relancer des services à plus de 200 km, voire même 220 ou 230 km/h parfois.  Au niveau amateur, même si les vitesses produites sont bien moins importantes, l'idée est de limiter le plus possible l'incertitude et de gagner du temps dans l'exécution du retour.

Cet article vous propose dans un premier rappeler les bases techniques du retour de service sur première balle, puis ensuite détailler les enjeux de la prise d'information et de l'organisation technique en analysant l'aspect temporel de ce coup. Enfin nous allons nous intéresser aux différents types d'informations pouvant aider à l'anticipation du service adverse.
 

1. Rappels technique de la mise en action en retour de service                                 

Pour illustrer ces fondamentaux techniques, prenons une séquence en retour de service de Kyrgios :



Photo 1 : L'attitude d'attention doit être dynamique afin de proposer une mise en action future la plus rapide et efficace possible. C'est pour cela que l'on parle d'ailleurs d'attitude d'attention et non d'attente. Au moment du lancer de balle adverse, le joueur Australien commence sa mise en action en étant sur équilibré sur l'avant des pieds.



Photo 2 : le lancer balle est à son point culminant et Kyrgios effectue un pas en avant pour créer une dynamique avant dans son retour de service. A noter que certains joueurs préfèrent un ou plusieurs sursauts à la place de cette avancée.



Photo 3 : Federer frappe la balle et on peut voir que Kyrgios est en légère suspension. Contrairement a des croyances répandues dans le monde du tennis, la retombée au sol ne se fait pas au moment de la frappe. Pour maîtriser ce contre-temps, il faut avoir intégreé parfaitement le rythme du service adverse. 




Photo 4 : la balle est sortie de la raquette du joueur suisse et on peut voir que le pied gauche de Kyrgios touche le sol en premier afin de déclencher la poussée vers la balle. Cela veut dire qu'après un temps très court, le joueur Australien a déjà analysé la trajectoire de balle adverse et à débuté sa réponse motrice...



Photo 5 : La balle n'a pas encore franchit le filet et la poussée de la jambe gauche est bien visible ainsi que le début d'orientation des épaules vers la balle.
 

2. Les enjeux temporels                                                                        

Comme expliqué précédemment, le retour de service est un des coups du tennis où le temps disponible est le plus faible. Toutefois, en disant cela de cette manière, il est difficile de se rendre compte de l'étendue de la difficulté. Prenons un exemple précis à partir d'une service de Kyrgios à 115 miles soit 185 km/h environs.

 

Photo 2 :  nous pouvons voir que l'analyse de la trajectoire de balle plus un début de réponse motrice doivent être réalisées en moins de 200ms soit 2 dixièmes de seconde. A ce moment, précis, le pied inverse du relanceur à la trajectoire de balle est posé au sol afin d'assurer le démarrage.


 
Photo 3 :  300ms après la frappe, la poussée de la jambe gauche est quasiment complète permettant de commencer le déplacement vers la trajectoire de la balle. Dans le même temps, Federer a réussi à orienter les épaules et démarrer la préparation de la raquette.



Photo 4 :  400ms après la frappe de balle, la balle retombe dans le carré de service. Nous pouvons voir que Federer a terminé sa préparation. Elle est bien évidemment très raccourcie du fait du manque de temps ce qui est primordial pour bien relancer une première balle de service.



Photo 5 :  700 ms après la frappe, la balle est dans la raquette du joueur Suisse.

Pour résumer cette séquence, dans un temps de 700ms (soit 0,7 seconde), le relanceur doit, dans l'ordre :

 - Analyser la trajectoire du service
 - adapter son jeu de jambes à cette trajectoire
 - orienter les épaules et placer la raquette dans la trajectoire de la balle
-  faire revenir la raquette vers a balle du corps pour assurer une frappe légèrement en avant du corps

Et le tout doit s'effectuer en essayant de maintenir un équilibre dynamique afin de proposer la meilleure qualité de coup possible. C'est déjà un beau défi, mais imaginez maintenant que le service analysé était "seulement" à 185 km/h ce qui est assez peut désormais sur le circuit professionnel. A titre de comparaison, sur un service à 217 km/h, vous allez avoir près d'un dixième de seconde encore de moins sur le temps disponible entre la frappe du serveur et la frappe au retour. 100ms, ça peut paraître peut mais il faut savoir après analyse que le seul moment où vous pouvez gagner du temps est en réalité sur l'exécution du geste à partir de la poussée de la jambe extérieure...

En effet, si l'on reprend Federer face à un service à 217km/h de Kyrgios, nous avons l'organisation temporelle suivante :

 - pose appuis à 200ms
 - début orientation des épaules à 300ms
 - contact balle au sol à 360 ms soit 40ms de moins qu'à 185km/h
 - contact avec la raquette du relanceur : 630 ms soit 70ms de moins que pour un service à 185 km/h

Ainsi, nous pouvons voir que la routine de Federer est identique quelque soit le service adverse jusqu'à la poussée de la jambe extérieure. Nous pouvons donc estimer que les 300 ms nécessaires à la lecture de trajectoire et au début d'organisation du haut du corps sont donc incompressibles et représentent le temps d'analyse minimum et de démarrage pour le joueur Suisse. Le temps gagné l'est donc grâce à son explosivité et ses qualités de coordination motrice.
 

3. Elements de comparaison et enjeux                                                      

Pour évaluer ces 200ms de temps de réaction motrice complexe, prenons deux éléments de comparaison :

 - Le temps de réaction d'un pilote de F1 à l'allumage des feux verts (stimulus visuel est d'environs 200ms c'est à dire entre l'allumage des feux et une pression enregistrée sur la pédale d'accélérateur
 - Le temps de réaction d'un coureur de 100m réagissant à un stimulus auditif (pistolet de départ avec haut parleur derrière chaque coureur) est quand à lui de 150ms pour les meilleurs.

Notons également que dans le cadre de l'athlétisme, un temps de réaction dans les starting-blocks de moins de 100ms est considéré comme un faux départ car serait selon certaines étude une vitesse telle serait de l'anticipation et non de la réaction à un signal. 

Dans un premier temps, nous pouvons être étonnés de trouver des temps de réaction plus rapides à un stimulus auditif qu'à un stimulus visuel alors que la vitesse de transmission de la lumière est bien plus raide que la vitesse du son. En fait, cela s'explique au niveau du cerveau car un stimulus visuel doit subir une conversion complexe en signal bioélectrique (6 étapes) alors que la conversion du signal auditif est quant à lui très simple (1 étapes).

Seulement, il a été calculé également qu'à partir d'une certaine distance, le temps de traitement d'un stimulus visuel devient plus rapide que le traitement d'un stimulus auditif. Cette distance est de 16m60. La distance entre le relanceur et le serveur sur un terrain de tennis étant d'environ 24m, nous pouvons donc en conclure que la principal source d'information pour le relanceur va être visuelle. Mais attention, cela ne veut pas dire que les autres formes de prise d'informations sensorielles sont inutiles. En effet, comme le précise le professeur Hubert Ripoll, créateur à l’INSEP du premier laboratoire français de psychologie cognitive appliquée au sport :

"Le sportif, quand il est dans une situation extrême, va traiter l’information par tous ces canaux et c’est ce qui va lui permettre de réaliser des actes qui nous semblent presque impossibles [..] C’est par l’inter-sensorialité qu’on parvient à optimiser un geste. L’audition joue son rôle. Si on occulte un système sensoriel on perturbe la performance."




 

4. Quelles informations pour anticiper ?                                                   


Le tennis propose une différence notable avec les deux sports cités, c'est qu'il est possible d'observer le joueur adverse avant qu'il ne frappe la balle. Ainsi, le match s'étalant dans le temps, il est également possible de déterminer chez l'adversaire des particularités gestuelles en fonction du type de service choisi, ou encore des préférences tactiques en fonction de la situation et du score (chez les professionnels, cette analyse peut être réalisée avant d'entrer sur le court grâce à la vidéo).

Ainsi, les informations importantes pour l'anticipation vont se situer durant 4 moments clés :

 - avant même la mise en place du serveur par la prédiction du service à venir en fonctions des connaissances accumulées sur l'adversaire avant ou en cours de match

 - l'analyse technique du geste du serveur qui peuvent donner des indices

 - le moment de la frappe avec en particulier la position de la raquette et le son

 - les premiers moments après la frappe qui vont valider ou invalider l'analyse des facteurs précédant et débuter la réponse motrice en conséquence
 

 > La prédiction :

Chaque joueur va avoir sa zone ou ses zones préférentielles au service, ou encore un schéma préférentiel en fonction du score et de l'importance du point. Ainsi, il est important durant un match d'observer le joueur adverse pour essayer de déterminer ses possibilités et ses préférences tactiques. Il n'est pas rare d'être en difficulté en retour de service au début d'une rencontre puis de s'habituer progressivement au service de l'adversaire en le mettant de plus en plus en difficulté.
 

 > L'observation de l'adversaire :

Quelque soit le joueur que vous allez avoir en face de vous, des indices plus ou moins visibles vont être disponibles afin de déterminer le type de service prévu. Le tout est de savoir où les chercher !!

Vous êtes perplexe ? Alors pour essayer de vous convaincre, prenons un des joueurs dont le service est réputé comme le plus difficile à décrypter et dont on estime qu'il est capable de frapper toutes les zone et effets avec le même lancer et le même geste, à savoir Roger Federer. Sur cette série de photos, j'ai réalisé une superposition de deux services  lors d'un même match (8ème de finale de l'US Open en 2011 contre Juan Monaco) dans la diagonale des avantages. Ces deux services touchent des zones opposées à savoir le slice au T pour l'un et le plat extérieur pour le second :



Photo 1 : Ce qui surprend en premier est la position parfaitement identique du corps et de la raquette durant ces deux services. A ce stade là, aucune différence n'est perceptible




Photo 2 : Les positions du corps du joueur suisse se superposent encore une fois quasi parfaitement, une différence se situant au niveau de la position de la raquette mais qui est cachée pour le relanceur.




Photo 3 : A ce moment là, le relanceur peut observer une légère différence pour anticiper : le lancer de balle n'est pas positionné exactement de la même manière. Ainsi, pour jouer son slice, Federer lance légèrement plus à gauche que pour un service à plat (comparaison faite sur plusieurs autres matchs qui a permis de déterminer à chaque fois cette différence dans la diagonale des avantages). Cette différence est très légère, peut être moins de 10 cm mais pour un joueur expérimenté, c'est plus qu'il n'en faut pour prendre l'information



Photo 4 : A la frappe, la différence se confirme concernant la position de la balle par rapport au corps, mais également d'avancée du plan de frappe qui va se situer légèrement plus en avant du corps pour frapper slicé que pour jouer à plat. Notons par contre la superposition parfaite du corps de Federer alors que les directions visées sont opposées.



Photo 5 : La dernière différence notable visible se situe dans l'accompagnement de la frappe qui est réalisé plus latéralement pour le slice et plus vers l'avant pour la frappe à plat.

Il est vrai que les chances de jouer Roger Federer un jour sont plus que minces et vous pouvez trouver cette analyse comparative un peu superflue, mais elle a pour seul objectif de vous prouver que si l'on peut observer quelques différences chez le joueur suisse dont le service est réputé illisible, vous pourrez trouver chez vos adversaires toutes les informations nécessaires à l'anticipation.
 

Les différents moments clés à observer :


1/ Le regard :

Il n'est pas rare que le serveur fixe la zone qu'il souhaite atteindre avant de lancer la balle. Parfois, c'est réalisé sur un laps de temps très court donc quasi imperceptible, mais souvent chez les amateurs, l'observation est beaucoup plus longue et peut donner une indication importante au relanceur.

 


2/ La position du corps et la montée de la balle :



L'angle de fermeture des appuis, la position des pieds et des hanches, la position de la tête peuvent donner des informations. Il n'est pas rare de voir des joueurs modifier la position de leurs pieds en fonction de la zone recherchée et ce inconsciemment !!

Plus étonnant encore, cette anecdote relatée par André Agassi pour relancer le service de Boris Becker grâce à l'analyse de la position de sa langue : " Il tire la langue sur la droite, sert sur la droite. Je devine juste et frappe fort. Gagné. Je réexpédie ses deux services suivants. "


3/ Le lancer de balle :



Le plus souvent au niveau amateur, le lancer de balle va être votre meilleur indicateur des intentions adverse car il est généralement différent en fonction de l'effet choisi. Par exemple pour un serveur droitier si le lancer est un peu à droite du corps chez un droitier pariez sur un service slicé; à gauche anticipez plutôt un service kické et si la balle est plus en avant du corps, il y a de fortes chances que vous ayez à relancer un service à plat.

4/ Le retour de la raquette vers la balle :



Ce moment du service adverse est également un moment clé de l'anticipation car le retour de la tête de raquette vers la balle est variable en fonction du service souhaité : si le retour est réalisé nettement de la gauche vers la droite, le service sera kické (ou éventuellement slicé pour un joueur servant avec un geste rotationnel, la différence se situant au niveau du point d'impact); si le retour est franchement de l'arrière vers l'avant, il y a de forte chance de recevoir un service à plat ou slicé.

5/ Le point de contact et l'orientation du tamis :



C'est quasiment le dernier indice visuel à disposition. L'orientation du tamis à la frappe va vous donner une indication sur l'effet du service : si la raquette frappe la balle pleinement, le service sera à plat alors que si vous observez une légère orientation du tamis pour frapper la balle légèrement sur la droite, le service sera slicé. Pour le service kické, l'observation sera plus aisée puisque la frappe sera réalisée légèrement à gauche du corps afin de faciliter la production de l'effet latéral.

Ce moment va également permettre de déterminer l'engagement du serveur dans sa frappe en observant à la fois l'énergie globale du geste mais également le lancer plus ou moins dans le terrain.
 

 > Le son lors de la frappe :

Nous l'avons vu précédemment, une prise d'information optimale est réalisée grâce à plusieurs canaux d'informations différents. Il nous est tous arrivé de devoir relancer un service sous court couvert lors d'une forte averse qui masque le son de la frappe et pour la grande majorité d'entre nous, il est très difficile de garder une bonne qualité de relance dans ces conditions.

Le son du service va nous donner principalement deux indications :

 - la force du service que nous allons recevoir car il est très difficile de la prédire juste par l'observation.

 - les éventuels effets dans la balle (un impact sec préfigurant plutôt d'un service à plat alors qu'un service à effet sera caractérisé par le bruit des cordes grattant la balle)
 

 > L'accompagnement et la lecture de trajectoire :



Comme nous l'avons déjà vu précédemment dans l'article, l'accompagnement va varier de manière pour ou moins importante en fonction de la zone visée. Cet accompagnement est généralement la conséquence de la trajectoire du retour de la raquette vers la balle mais elle peut vous donner une indication voire vous apporter une confirmation ou une infirmation de l'anticipation réalisée lors des points précédant.

Elle est indissociable à la lecture de la trajectoire de la balle en elle même.
 

5. Conclusion                                                                                          

Comme nous pouvons le constater, pour être efficace en retour de service il ne suffit pas d'observer la balle une fois qu'elle a quitté la raquette adverse. Le processus est beaucoup plus complexe et débute même avant le début du geste de l'adversaire par l'analyse des préférences tactiques de l'adversaire en fonction de la situation.

Plutôt que louer les qualités intuitives des meilleurs relanceurs, il conviendrait de louer leur très grande qualité de prise d'information concernant l'adversaire, leur grande intelligence situationnelle, leur capacité à s'adapter au rythme du service adverse et leur qualité d'explosivité et de coordination permettant la justesse technique. C'est en effet la maîtrise de l'ensemble de ces qualités qui vont faire d'un joueur un grand relanceur.

Afin d'être le plus efficace dans ce domaine, un joueur ne doit pas seulement se focaliser sur la balle, mais sur l'ensemble de l'action de son adversaire afin de rechercher les indices nécessaires à l'anticipation. La technique gestuelle étant personnelle et pouvant fluctuer d'un joueur à l'autre, il faut également faire attention à prendre les informations cohérentes correspondant à son adversaire et non pas à des croyances générales sur le plan technique.

Un moment souvent inexploité est la fin de l'échauffement, en cherchant dans un premier temps à "sentir" le rythme du service adverse et ensuite commencer à analyser les différentes possibilités de zones ou d'effets que votre adversaire a à sa disposition. En effet, il arrive souvent qu'un joueur dévoile ses cartes dès l'échauffement en proposant l'intégralité de ses armes au regard de son adversaire pour les tester... Il convient donc d'être vigilant avant même le premier point du match !!
 

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