La démonstration en questions
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"Une bonne démonstration vaut mieux qu'un long discours" : la démonstration est une institution dans l'enseignement du tennis depuis de nombreuses années en particulier chez les enfants qui possèdent des capacités d'imitations importantes. De la même manière, de nombreux adultes recherchent aujourd'hui des exemples à suivre sur internet où les vidéos en slow motion ou encore les cours en ligne fleurissent. La FFT également place la démonstration comme un des 4 piliers de la séance de tennis dans le dernier cahier de l'enseignant paru cette année et l'impose dans la démarche pédagogique durant les formations.
D'un point de vu scientifique, le développement des recherches sur les neurones miroirs censés permettre une transformation des informations visuelles en actions motrices semblent également valider ce moyen pédagogique en prouvant son efficacité. Toutefois, quelques voix commencent à s'élever contre la démonstration avec en particulier une remise en cause de la capacité des élèves à reproduire correctement le coup démontré en fonction de son expérience motrice ou encore la réelle efficacité des neurones miroirs ce qui rendrait donc cette pratique pédagogique au mieux inefficace chez certains élèves, sinon problématique pour la progression future.
A travers cet article, nous allons tenter de voir en détail la place que doit tenir la démonstration au sein de la séance pour trouver son efficacité et de quelle manière elle doit être abordée en accord avec les recherches effectuées par des neurophysiologistes et des spécialistes de la psychologie cognitive.
Les bénéfices de la démonstration du geste sportif
En premier lieu, démontrer permet de faire appel à une forme d'apprentissage visuelle qui est aujourd'hui et selon des études la forme préférentielle d'apprentissage de plus de 70% de la population. La société moderne d'ailleurs est basée sur les signaux visuels qui nous harcèle de manière plus ou moins consciente : télévision, ordinateur, tablette, publicités, mais également durant les études où l'apprentissage visuel est utilisé en permanence et conditionne notre façon d'apprendre. Avec le développement des cours en ligne sous forme de vidéo, le tennis n'échappe pas à la règle loin de là, et avec des bénéfices non négligeables pour beaucoup des joueurs les utilisant.
Ensuite, démontrer fait appel à la capacité d'imitation qui est plutôt développée chez l'être humain, en particulier chez les enfants. Des études récentes chez le primates puis chez l'Homme ont montré des aires dans le cerveau composées de neurone miroirs qui seraient capables de transformer un signal visuel (observation) en action motrice conforme au geste présenté. Ces données semblent assez intéressantes pour la pédagogie sportive. De plus, la majeure partie des apprentissages durant les premiers mois de la vie sont des apprentissage par imitation ce qui renforce encore l'intérêt de la démonstration. Des expérience ont d'ailleurs été réalisées avec des enfants en bas âge et donne des résultats surprenants :
@ ca-coule-de-source.overblog.net
Au niveau de la psychologie cognitive, il a été démontré que la connaissance du résultat final à produire permet d'améliorer la qualité de l'apprentissage de ce qui est à réaliser (
in les mécanismes de l'apprentissage, Jean-Pierre Rossi, edition De boeck - Solal).
Toutes ces données issues de différents champs montrent bien l'intérêt que peut revétir la démonstration dans la pédagogie sportive, seulement, nous pouvons nous demander si cette pratique en elle même peut être une suffisante à la progression technique des joueurs
Les limites de la démonstration
Nous sommes par ailleurs tous conscient qu'observer ne suffit pas forcément pour reproduire exactement le modèle demandé avec autant d'efficacité : en effet, ce n'est pas en montrant un coup droit de Roger Federer à un débutant qu'il va être capable par la suite de le reproduire, idem dans d'autres apprentissages comme la conduite par exemple : regarder quelqu'un réaliser parfaitement un créneau n'est pas un gage de réussite pour l'observateur.
Plusieurs auteurs ont démontré cette limite de la démonstration dans l'apprentissage sportif, et en particulier Michel Desmurget, docteur en neuro-physiologie et enseignant professionnel de tennis qui consacre une ouvrage à cette pratique : Imitation et apprentissage moteur : des neurones miroirs à la pédagogie du geste sportif, Edition Solal. Ce double point de vue de théoricien mais également d'homme de terrain rend cet ouvrage assez incontournable sur la question où il pose certaines limites à cette pratique
1/ La tendance d'imitation porte sur le contenu fonctionne de l'acte moteur (que faire) et non sur le détail cinématique du geste (comment faire). Ce qui est imité c'est l'action, pas le mouvement On peut d'ailleurs se rendre compte sur la photo suivante que le bébé, s'il reproduit globalement le geste de l'adulte ne le reproduit que non parfaitement :
@ ca-coule-de-source.overblog.net
2/ Si l'observation d'une action entraîne une activation de certaines aires motrices dites miroirs, cette activation n'est observée que si l'action fait partie du répertoire moteur de l'observateur : en d'autres termes, il n'y a activations des neurones miroirs seulement si le geste réalisé est déjà connu par le pratiquant.
3/ Pour qu'il y ait imitation, il faut que le sujet ait une idée précise de la forme que prend son corps dans l'espace. Or, chez beaucoup de joueurs, en particulier chez les débutants, il ya un fossé entre le geste réalisé et le geste que le joueur pense réaliser. Cette différence est d'ailleurs souvent source de conflit avec l'enseignant qui ne peut être parfois résolu que par l'apport de la vidéo.
4/ Pour qu'il y ait automatisation, il faut qu'il y ait confrontation directe avec la tâche à effectuer. Observer seul ne suffit pas, car elle ne procure aucune information sur la dynamique du mouvement (les muscles à mettre en action) ou encore le rythme.
5/ Des gestes en apparence identiques peuvent être en réalité à des processus neurophysiologiques différents. Le fait de reproduire un geste peut corrompre l'apprentissage du tennis en recherchant non pas un geste s'adaptant à une circonstance mais plus un geste idéal (morphocinèse au lieu de téléocinèse)
6/ La logique des approches démonstratives tendent à créer la constitution d'invariants rigides et impérieux dans la formation technique du joueur. Ces invariants sont une entrave massive dans la perspective d'apprentissage futur.
7/ la capacité à dissocier et coordonner les groupes musculaires impliqués dans l'action est le produit de l'expertise. De ce fait, il est illusoire de penser qu'un élève non expert puisse reproduire le geste achevé d'un pratiquant de bon voire de haut niveau.
On pourrait également ajouter à cette liste le fait que pour que l'observation soit efficace, il faut une capacité d'analyse importante chez l'observateur avec des connaissances précises permettant de ressortir du geste observé les points importants. Or, chez bon nombres de sportifs, cette capacité n'est soit pas présente, soit partielle ce qui va forcément altérer l'efficacité du procédé pédagogique.
Si tout à coup, à la lumière de cette étude la pratique de la démonstration semble beaucoup moins évidente, il convient de nuancer également les propos en se posant la question du type de démonstration utilisée lors de la séance de tennis.
La place actuelle de la démonstration dans l'apprentissage du tennis
Pour beaucoup encore et en particulier pour ses détracteurs, la démonstration revient aux pratiques d'il y a trente ans avec un enseignant démontrant un geste globalement et demandant à ses élèves de le reproduire à blanc au début, puis par la suite en renvoyant une balle envoyée par l'enseignant pour enfin le mettre en pratique sous forme d'échanges.
@ toei animation
Pourtant, si la démonstration est encore aujourd'hui présente, les objectifs ont quand à eux évolués car elle est pratiquée aujourd'hui de manière à montrer, non pas un geste global mais plutôt certains points importants qui vont être à réaliser, certains étant issus du cahier de l'enseignant de la FFT :
- La démonstration doit insister sur un ou plusieurs points techniques précis mis en avant et surtout doit être commentée par l'enseignant pour faire appel également à l'apprentissage auditif des élèves.
- Cette démonstration doit impérativement être accompagnée d'une mise en situation des élèves pour faire appel à l'apprentissage cognitif des élèves leur permettant de répéter des actions motrices.
- La démonstration doit être effectuée correctement, soit par l'enseignant soit par un élèves réussissant correctement la tâche. On pourrait même aller plus loin : il faut que cette démonstration soit adaptée à l'élève en particulier à sa main dominante : démontrer en droitier pour un gaucher peut provoquer des difficultés pour l'élève à retranscrire les bonnes informations.
- La démonstration est utile pour provoquer un questionnement et une réflexion chez l'enfant, en particulier sur le comment faire.
Enfin, démontrer permet de gagner du temps dans la mise en place des situations d'apprentissage en favorisant une compréhension rapide et ainsi de gagner en temps de jeu au cours de la séance.
Conclusion
Il ne faut pas faire l'amalgame entre démonstration et la pédagogie du geste. La démonstration est un moyen pédagogique et donc à ce titre son efficacité va dépendre avant tout de la pertinence de son utilisation par l'enseignant en fonction du type de public.
Par contre, il a été montré qu'une démonstration globale d'un geste ne présentait que peu d'intérêt car demande une capacité d'analyse ainsi qu'une connaissance de son corps dans l'espace qu'un joueur ne possède que très rarement. La démonstration devra donc cibler des points clés précis et être commentée par l'enseignant afin de donner sa pleine efficacité pédagogique.
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